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Haïti : De grands bluffs – Daniel Jean

Haïti : De grands bluffs

Prétendre changer un pays demande une connaissance de son histoire, de ses traumatismes, de ses mythes, de ses tares, de ses prouesses, de ses us et coutumes. Il faut une communauté de vie, un engagement de survie collective et une volonté de passer le flambeau à la génération future.
Or, aujourd’hui, nous vivons dans un drap d’illusions cousu de mensonges, de bluffs, de faux mythes, lequel est conçu et confectionné par des apprentis tisserands et couturiers à la pièce et à la solde d’experts designers étrangers, seuls détenteurs du global picture. Et nous sommes tous en lutte avec nous-mêmes pour réaliser mieux que tout autre notre tâche et se payer une journée que nous qualifierons de bien remplie.
Sans trop de littérature, cataloguons nos bluffs les plus monstrueux et nous demandons : est-ce que nous pouvons changer le pays avec ?

1) « Nous sommes douze millions d’habitants ».

Faux : le recensement de 2003 accusait déjà une marge d’erreur allant jusqu’à 16 %, or les ménages vivant dans les cimetières, devant les églises catholiques, dans les égouts de Bois-de-Chêne n’étaient pas comptés. Toutes les statistiques accusant une marge de plus de 5% d’erreur devaient être reprises. Donc les projections de croissance de la population et toutes les coordonnées de l’IDH sont faussées actuellement.

2) « La diaspora haïtienne reste l’unique possibilité de sauvetage pour Haïti ».

Faux archi-faux ! De quelle Diaspora parle-t-on ? Ceux des Antilles, en majorité, ne dépassent pas le seuil académique du secondaire et ne sont en très grande partie que des travailleurs manuels. Ceux des grandes mégapoles nordiques (USA, Canada) et européennes (France, Belgique, Suisse…) de plus en plus perdent en leur qualité, rongés par toutes sortes de maux et n’ont pas grandes expériences du management public, là où le besoin se fait le plus sentir en Haïti ; pire encore, la jeune génération de la diaspora n’a pas grande attache avec Haïti et souffre même de grands troubles identitaires, ne parlant en plus ni créole ni français avec des noms américanisés.

3) « La contribution de cette diaspora à Haïti de deux milliards de dollars est une manne pour le pays, si non, il serait déjà flanché ». 

Assertion biaisée ! Biaisée par le chiffre avancé, puisqu’il serait venu d’une seule source (les maisons de transferts nord-américaines), à ma connaissance, aucune étude haïtienne n’a été menée pour confirmation. Autre chose, ne faudrait-il pas que nos économistes, Jacquot répète, nous fassent une étude sur l’envoi de devises depuis Haïti vers les grandes capitales du monde pour payer les études de nos enfants, le « mortgage », s’assurer une épargne sure dans des banques étrangères ? Ne devraient-ils pas faire un effort de quantification aussi de nos cerveaux expatriés ? De nos biens mobiliers, pour certains transformés en devise américaine sans aucun contrôle pour passer à l’autre rive ?  Supposons que nous recevions vraiment deux milliards (en biens fongibles), ne serait-ce pas un retour sur investissement ? Puisque leur départ, c’est au prix des ventes de biens mobiliers et immobiliers ou du labeur des parents ou des aïeux, en grande partie paysans.

4) « La double nationalité, ponction magique, pour l’intégration haïtienne et le relèvement du pays ».

Pure démagogie des politiciens haïtiens ! D’ailleurs, cette problématique n’est pas nouvelle en Haïti. Depuis notre indépendance, c’est notre arme de prédilection pour tromper l’ennemi blanc, mais c’est aussi celle qui nous a blessés plus d’une fois. Rappelons-nous l’Affaire Luders sur le gouvernement de Tirésias Simon Sam, comment nous avons été humiliés par l’Allemagne, notre Bicolore souillé et badigeonné d’excrément allemand ; plus près de nous, l’Affaire de Shibbly TALAMAS sous Duvalier et sous Préval (I), l’affaire du directeur de La Minoterie, arrêté pour infraction financière et arraché de force des serres de la Justice haïtienne par une ambassade étrangère lui reconnaissant comme son national. Mes amis, cessons de nous mentir à nous-mêmes : la double nationalité, c’est une affaire d’État à État et c’est votre niveau de force et la finesse de votre diplomatie qui peuvent vous permettre de négocier la meilleure part.

5) « En Haïti, il n’y a pas de lois et celles qu’on a sont obsolètes et inappropriées ».

Faux ! Archi-faux !  Nos hâbleurs-juristes disent n’importe quoi, il suffit qu’ils parlent fort et avec un canevas préparé par la communauté internationale. Le principe veut que « Depi blan an diw mouri enben ou mouri » surtout, nous nous raffolons bien du mythe du mort-vivant. Comprenez un instant que depuis la convention de Vienne de 1960, Haïti en la ratifiant donne préséance au droit international sur son droit national. Cela dit, tous les accords et conventions signés et ratifiés et publiés par Haïti deviennent ipso facto, lois et  ont cours légal en Haïti. Et par le fait, en plus d’un autre principe, novissima lex priori derogat, la nouvelle loi abroge l’ancienne loi en tout ce qui lui est contraire, donc de jure la remplace. Alors, de quelle obsolescence parle-t-on ? Quand on sait qu’Haïti, presque sans réserve, a signé tous les textes internationaux auxquels il est partie.  Il suffit seulement de prendre des mesures pour que le service de législation du ministère de la Justice fasse son travail pour un état d’abrogation en bonne forme, à jour et une réorganisation des codes. Nous sommes même trop prolifiques en lois et décrets, sauf que nous avons un problème d’application.

6) « À cause de l’insécurité, les Haïtiens n’investissent pas dans leur pays »

Faux ! faux ! faux ! Les Haïtiens n’ont pas la culture d’entrepreneuriat, ils ne prennent pas de risque, ils attendent de voir qu’une chose marche pour y foncer tous ensemble (voir l’histoire de la faillite des coopératives). Aujourd’hui, Haïti est le pays, en dépit du blackout et de l’absence de l’État et de la police, le moins risqué sur le plan de la sécurité. Faisons-en une comparaison avec nos voisins de la Caraïbe et nous verrons. Je mets tout le monde au défi de me montrer un endroit sécuritaire où la diaspora haïtienne prend l’initiative d’un investissement de valeur, que ce soit en Amérique du Nord, en Europe ou en République dominicaine.  Culturellement, l’Haïtien n’a pas la patience de se figer derrière un comptoir, au premier million engrangé de voitures de luxe, de voyages, de nouvelles maisons et de femmes à profusion. Il n’a aucun sens de la discipline, de l’austérité personnelle et du sens du réinvestissement dans la production qualitative et durable. Il faut qu’il trouve un prétexte, une posture de « nou pa pi mal » d’année en année.

7) « La richesse du pays est à 75% aux mains des mulâtres »

Grand mensonge, il n’existe même plus de mulâtre en Haïti au regard de la définition et des canons de teinte énumérés par l’historien Thomas Madiou. Actuellement, nous avons une classe de comprador composée de 80 % de Syriens qui sont loin, mais très loin d’être mulâtres et qui, depuis le gouvernement de Magloire, ont su négocier et garder le monopole de l’import-export. Par ailleurs, les 20 % haïtiens, d’Allemands et de Français de souche, mais qui se mélangent avec des Dominicaines et d’autres se convertissent en courtiers et brasseurs d’affaires, sans attaches avec le pays. Cette réalité a été déjà décrite par Jacquelin Montalvo Despeigne dans son livre « Le droit Informel Haïtien »

8) « Haïti est un pays essentiellement agricole »

Faux ! Plus de 65 % de montagne avec une déclivité ordinaire allant jusqu’à 60 degrés et les 35 % de plateaux et de plaines sont envahis et urbanisés. Quelle agriculture à grande échelle et mécanisée peut-on pratiquer ? Nos travailleurs agricoles vieux de plus de 45 ans avec une durée moyenne de vie à la naissance de 48-52 ans, les seuls s’attachant encore à la terre, peuvent-ils nous rendre agricolement productifs ??? Tandis que les jeunes viennent grossir les bidons-villes comme petits détaillants, motards et membres de toutes sortes d’associations.

9)  « Nous sommes un peuple travailleur »

Faux ! Nous sommes un peuple de bambocheurs. Nous articulons nos efforts autour d’un calendrier annuel festif. Nous travaillons pour fêter grandiosement Noël. Après des efforts pour le Rara, le Carnaval et les fêtes de Pâques, viennent successivement les champêtres. Nous cherchons du travail avec deux bougies allumées, l’une pour trouver, l’autre pour ne pas trouver.  Un travail sitôt trouvé est déjà un motif de mécontentement : durant 27, 28 jours, c’est la grogne, les complaintes. Seul le jour du payroll est synonyme de joie ; mais une joie à demi-teinte puisque c’est aussi le jour du remboursement des dettes. Nous n’aimons pas payer nos dettes. Les marchands devant les usines textiles peuvent en témoigner.

10) « L’Haïtien est super intelligent, il réussit partout où il passe »

Faux ! À partir de quoi arrivons-nous à cette conclusion ? Comment a-t-on fait le ratio de réussite par rapport à la masse d’expatriés. L’haïtien a une stratégie de deux camps, qui bouscule les limites, mais déconstruit l’harmonie et réinvente constamment la roue ; l’univers haïtien est binaire et antinomique : Dieu/Satan, in/out, rural/urbain, homme/femme, mort/vivant , jeune/vieux, noirs/mulâtres, riches/pauvres, lettrés/analphabètes, haut de la ville/ bas de la ville ….. cette vision antinomique des choses pousse à des guerres de tranchées où ne réussissent que des individualités avec des méthodes peu orthodoxes. D’aucuns assez désinvoltes diront que la fin seule justifie les moyens. C’est encore une autre approche de l’éthique où ne réussissent pas des groupes ; mais des individualités dont la réussite est appropriée par la masse inapte.

Je sais que certains diront qu’une telle analyse est de l’insolence, d’autres tenteront de travestir mes assertions dans un sens ou dans l’autre, j’aimerais que nous jouions balle à terre et franc jeu avec des arguments bien affinés. Du choc des idées jaillira une lumière qui nous fera prendre en main notre destin de peuple sans bluff ni répétition creuse.
Daniel JEAN   3/10/2016

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