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Port-au-Prince: L’Histoire Tragique des Assassinats Politiques (1806-2021)

En Haïti, les assassinats politiques s’étendent sur plus de deux cents ans d’histoire, de 1806 à 2021, et sont énormément tragiques. Mais, qu’est-ce qu’un assassinat politique au sens propre du mot? Quel est l’histoire qui va avec? Dans le cas d’Haïti, pourquoi les Chefs d’État qui sont assassinés à Port-au-Prince viennent-ils essentiellement de la région Nord du pays?

La notion d’assassinat politique: sa définition et son histoire.

En effet, l’assassinat politique est une expression qui remonte aux temps antiques. Distingué de l’exécution par son caractère illégal, du meurtre ordinaire par le fait qu’il est caractérisé par les enjeux du pouvoir ou idéologiques, l’assassinat politique se définit comme étant l’action par laquelle une personnalité politique est éliminée physiquement pour des motifs politiques ou idéologiques.

L’histoire rapporte que l’un des premiers assassinats politiques reconnus comme tels est celui d’Hipparque, Tyran d’Athènes en -514 avant l’ère chrétienne. La mort d’Hipparque aurait permis le passage à la démocratie. Mais certaines sources dont Thucydide, selon l’interprétation de Luciano Canfora, pensent que le crime était passionnel. Ce qui n’est pas forcément le cas du président haïtien, Jovenel Moïse, assassiné chez lui, le 7 juillet 2021.

La mort de Jules César est l’exemple parfait de l’assassinat politique d’un tyran sous prétexte de la démocratie. Marcus Junius Brutus, considéré comme stoïcien, trouvera dans ses convictions philosophiques des raisons de tuer un tyran, Jules César. Il épouse alors Porcia, fille de Caton et veuve de Bibulus, et devient l’héritier moral des derniers républicains. Présenter Brutus comme l’inspirateur du complot contre César inspire confiance à d’autres opposants politiques, mais le complot contre Jules César n’atteindra pas ses objectifs: 14 ans de guerre civile et de longues poursuites contre les assassins de César.

En 1382, Jeanne Ire de Naples est elle-même soupçonnée d’avoir fait assassiner son mari au début de son règne pour ne pas avoir à le couronner roi de Naples; Henri III et Henri IV de France sont assassinés par des fanatiques religieux. En 1914, Jean Jaurès et l’archiduc François Ferdinand seront tués par des nationalistes. Cet assassinat politique déclenchera la Première Guerre mondiale. 

Généralement, les études montrent que les assassinats politiques ont lieu sur ordre d’une entité externe ou interne, avec la complicité de fonctionnaires publics internes en poste. En Afrique, par exemple, des Chefs d’État et de Gouvernements africains assassinés l’ont été sur ordre des puissances colonialistes européennes dont la Belgique, la France ou l’Angleterre, mais avec la complicité des citoyens ou fonctionnaires publics africains.

En Haïti, l’assassinat politique comme concept n’est pas nouveau dans le discours politique local. Des hommes au pouvoir comme ceux des oppositions politiques ont connu des morts tragiques dans ce pays sur plus de deux siècles d’histoire. Pour ce qui concerne des Chefs d’État en fonction, Quatre Chefs d’État haïtiens ont été assassinés avant le président Jovenel Moïse qui est né à Trou-du-Nord et dont les motifs de son assassinat à Port-au-Prince restent, à ce jour, inconnus.

L’histoire tragique des Chefs d’État haïtiens assassinés à Port-au-Prince:

1  – Jean Jacques Dessalines, né à Grande-Rivière du Nord, militaire, devient héros de la Guerre de l’Indépendance, fondateur de la nation haïtienne, Gouverneur général puis Empereur entre janvier 1804 et octobre 1806. Le lendemain de la proclamation de l’indépendance nationale, Jean-Jacques Dessalines renvoie tout le monde au travail, exige la vérification des titres de propriété et une répartition des richesses nationales. Il est assassiné à Port-au-Prince le 17 octobre 1806, dans des circonstances inconnues, et à ce jour, “pèsonn pa konn ki mò ki te touye lamperè”.

2 – Sylvain Salnave, né le 7 février 1826 au Cap-Haïtien, militaire, devient président d’Haïti le 14 juin 1867 sous le titre de “protecteur de la nation”. En 1868, une révolte nationale contre le président Salnave prend de l’ampleur. Il essayera de l’écraser mais la capitale haïtienne sera assiégée puis bombardée par les rébelles et le palais présidentiel sera détruit. Le 19 décembre 1869, Salnave réussira à s’échapper avec un bataillon de 1 000 hommes dans les hauteurs de Pétionville avant de décider de s’enfuire en République Dominicaine pour obtenir l’aide du président Buenaventura Báez. Il est capturé par le général Cabral le 10 janvier 1870 et livré à Saget qui le fait juger puis l’exécuter le 15 janvier 1870 à Port-au-Prince.

3 – Jean-Jacques Dessalines Michel Cincinnatus Leconte dit Cincinnatus Leconte, né le 29 septembre 1854 à Saint-Michel de l’Attalaye, dans le Nord’est, militaire, devient président d’Haïti, le 14 août 1911, pour sept ans. À son arrivée au pouvoir, le président Cincinnatus Leconte met en place de nombreuses réformes dont le pavage des rues, l’augmentation des salaires des enseignants, l’installation de lignes téléphoniques et la diminution de la taille de l’armée. Pour protéger les commerçants haïtiens d’origines africaines et françaises, Leconte prend des mesures commerciales contre la communauté syrienne locale. En 1912, le Secrétaire d’État haïtien des Affaires extérieures publie une déclaration disant “qu’il est nécessaire de protéger les nationaux contre la concurrence déloyale des Orientaux dont la nationalité est incertaine”. En 1903, une loi limitant les activités commerciales des étrangers est relancée mais Leconte continue de traiter les plaintes déposées par des Syriens persécutés par le gouvernement de Nord Alexis. Le président Cincinnatus Leconte est mort dans une explosion qui détruit le palais national le 8 août 1912.

4 – Jean Simon Vilbrun Guillaume Sam, né le 4 mars 1859 à Ouanaminthe, dans le Nord d’Est, militaire, devient président de la République le 9 mars 1915. En juillet 1915, lors de la révolte populaire menée par Zamor, Sam fait arrêter puis faire massacrer des opposants politiques, et Zamor lui-même est fusillé. L’exécution de Zamor unifie d’autres opposants qui se réunissent et déclenchent une nouvelle révolution. Sam ordonne à l’armée de réprimer les manifestants mais les forces de l’ordre sont vaincues et le président est lynché par la foule le 28 juillet 1915 à Port-au-Prince. Cet assassinat conduit à l’occupation américaine de 1915 à 1934.

Donc, considérés comme une violation des droits humains, les assassinats politiques sont des phénomènes qui donnent lieu à de profondes réflexions, sachant qu’ils peuvent avoir de lourdes conséquences politiques dans les sociétés où ils se produisent et ce, sur plusieurs générations. Par exemple, l’assassinat de Jean-Jacques Dessalines a conduit Haïti dans le chaos le plus total: plusieurs années de guerre civile, séparation physique du territoire haïtien, naissance de deux États: le Royaume du Nord et la République de l’Ouest. Un autre exemple, c’est l’assassinat de Juvénal Habyarimana qui a conduit au génocide du Rwanda en 1994. En revanche, nous ne savons pas à quoi l’assassinat du président Jovenel Moïse conduira, mais il demeure évident que la lutte pour le pouvoir rend l’avenir du pays incertain.

Pour études complémentaires, Profile Ayiti vous recommande “Georges Minois, Le Couteau et le poison: L’Assassinat politique en Europe (1400-1800), Paris, Fayard, 1997, 445 p. (ISBN 978-2-213-59916-8, notice BnF no FRBNF36695953); Leaders assassinés en Afrique centrale 1958-1961: Entre construction nationale et régulation des relations internationales, Karine Ramondy et le Blog de Profile Ayiti”.

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M. Charles Philippe BERNOVILLE

Président et directeur des recherches.

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