Dans le paysage des discours sur l’émancipation et la condition des peuples noirs, une affirmation fuse, brutale et dérangeante : « Le pire ennemi du Noir, c’est le Noir, surtout le Noir au pouvoir. » Plus qu’une simple phrase, c’est un coup de poing, un cri du cœur qui résonne comme une trahison et un électrochoc. Loin d’être une insulte venue de l’extérieur, c’est une autocritique cinglante, un miroir tendu qui reflète une réalité complexe et douloureuse. Comment interpréter cette accusation, et que nous dit-elle des défis actuels ?
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Le Poids de l’Histoire Post-Coloniale
Pour comprendre la puissance de cette phrase, il faut la replacer dans le contexte des déceptions qui ont suivi les indépendances en Afrique et dans la diaspora. Après des décennies de lutte contre le colonialisme, l’oppression raciale et la ségrégation, l’accession au pouvoir était vue comme la panacée, la clé de la libération définitive.
Pourtant, pour de nombreux peuples, l’euphorie a cédé la place à la désillusion. Le « Noir au pouvoir », ce frère qui avait brandi l’étendard de la liberté, est souvent apparu sous un nouveau jour : celui du dictateur kleptocrate, du président à vie, de l’élite corrompue reproduisant les schémas d’exploitation de l’ancien oppresseur. La trahison n’est plus alors externe, mais interne. Elle est le fait de ceux qui, ayant connu les chaînes, devraient être les plus vigilants à ne pas en forger de nouvelles. Ce sont eux qui, selon l’assertion, deviennent « le pire ennemi », car leur pouvoir légitime et leur connaissance intime du groupe les rendent plus efficaces et plus dévastateurs dans leur action négative.
Les Visages de l’« Auto-Ennemi »
Cette idée d’un « ennemi intérieur » se manifeste sous plusieurs formes :
- La Trahison des Élites : C’est la forme la plus évidente. Elle désigne ces dirigeants qui pillent les ressources nationales, étouffent la démocratie, instrumentalisent les ethnicités et maintiennent leur peuple dans la pauvreté. Ils verrouillent le système pour leur bénéfice personnel, devenant ainsi les principaux obstacles au progrès collectif.
- Le Syndrome du Panier de Crabes : Proverbe populaire dans de nombreuses cultures africaines et caribéennes, il décrit la tendance à saboter la réussite de ceux qui tentent de s’élever. La citation va plus loin : le pire crabe n’est pas celui qui tente de sortir, mais celui qui, depuis le haut du panier (le pouvoir), écrase les autres pour maintenir sa position dominante.
- L’Aliénation et la Haine de Soi : Des penseurs comme Frantz Fanon ont magistralement décrit les séquelles psychologiques du colonialisme : l’intériorisation d’un sentiment d’infériorité et la haine de sa propre culture et de sa propre peau. Un « Noir au pouvoir » aliéné peut mépriser son peuple, le considérant comme paresseux, indiscipliné ou incapable. Il reproduit alors des schémas de domination qu’il a lui-même subis, perpétuant un cycle d’auto-dévalorisation.
Un Diagnostic Implacable, mais est-il Juste ?
Si cette affirmation frappe par sa justesse dans certains contextes, elle n’est pas sans susciter la controverse.
- Le Risque de la Généralisation : Condamner l’ensemble des « Noirs au pouvoir » serait injuste et inexact. De nombreuses figures, hier et aujourd’hui, ont gouverné avec intégrité, luttant pour la justice et le développement de leurs nations. Les généralisations occultent ces luttes et ces succès.
- L’Oubli des Facteurs Structurels : Se focaliser uniquement sur « l’ennemi intérieur » peut conduire à minimiser l’impact des structures internationales injustes, de la dette, du néocolonialisme économique et des ingérences étrangères qui continuent de saper la souveraineté et le développement de nombreux pays. Le « Noir au pouvoir » évolue souvent dans un système mondial qui limite sa marge de manœuvre et encourage la prédation.
- Une Arme à Double Tranchant : Cette idée peut être instrumentalisée par des discours racistes ou paternalistes pour affirmer que les peuples noirs sont « incapables » de se gouverner, et justifier ainsi des formes de contrôle extérieur. Il est crucial de distinguer une critique interne, motivée par l’amour et l’exigence de mieux, d’une condamnation externe essentialisante.
Un Cri pour une Responsabilisation
Malgré ses limites, la force de l’affirmation « Le pire ennemi du Noir, c’est le Noir, surtout le Noir au pouvoir » réside dans son appel brutal à la responsabilité. C’est un refus de la victimisation éternelle et une exigence d’auto-examen. Elle ne nie pas l’existence du racisme ou des inégalités globales, mais elle rappelle avec force que la libération ne peut être uniquement tournée vers la lutte contre un ennemi extérieur.
Elle invite à une révolution intérieure : un travail sur soi pour combattre l’aliénation, une vigilance citoyenne accrue envers ses propres dirigeants, et une exigence éthique implacable envers ceux qui détiennent l’autorité. C’est le cri de douleur de ceux qui attendaient des libérateurs et ont trop souvent reçu de nouveaux maîtres. En ce sens, cette phrase n’est pas une fin en soi, mais le début d’une réflexion essentielle sur le pouvoir, la trahison et la difficile conquête de la liberté véritable.


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